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Concours Nouvelles "Sous la plume"

Photo du rédacteur: Barbara LaurameBarbara Laurame

Organisé par l’Association « Lire à Plobannalec-Lesconil ».

Cette 11ème édition du concours, intitulé « sous la Plume », gratuit, ouvert à toute personne (ou groupe) âgée d’au moins 7 ans, est destiné à couronner une œuvre littéraire sous la forme d’une « nouvelle » .

Un seul texte par candidat ou groupe (œuvre commune pour la nouvelle) est permis. Le candidat (ou groupe) garantit qu’il en est l’auteur ; qu’il s’agit d’une œuvre originale, non déjà publiée. Le jury se réserve le droit de faire une distinction dans l’attribution des prix dans le cas de nouvelles collectives ou nouvelles individuelles.

La nouvelle doit obligatoirement débuter par le texte d’introduction imposé ; son contenu doit être en rapport avec l’énoncé et le thème du texte introductif imposé.

Pour cette 11ième édition , nous avons choisi comme thématique, la cuisine dans tous ses états; alors à vos plumes et à votre imagination; tous les genres sont autorisés (SF,Romans, Polar, humoristique, etc…)

Le président de cette 11ième édition est Bruno Matignon

Le nombre de pages de la nouvelles pour les catégories Adultes et adolescents sera compris entre 3 pages minimum et 10 pages maximum.

Texte introductif de la 11 ième édition (2019-2020) :

Elle parcourait d’un œil distrait l’édition du dimanche de sa feuille de chou régionale en s’attardant sur la page cuisine espérant y dénicher de nouvelles astuces pour agrémenter les menus de son restaurant 3 étoiles , lorsque son regard tomba sur cet entrefilet : « La récolte de fleurs de crocus Sativus vient de commencer …». Pas de doute les ennuis allaient commencer…

 

Je n'ai pas gagné ce concours, mais j'ai pris grand plaisir à écrire cette nouvelle que je vous offre. Vous pouvez la lire sur le site du concours ICI. N° 45 et je vous la livre ci-dessous :




Elle parcourait, d’un oeil distrait, l’édition du dimanche de sa feuille de chou régionale en s’attardant sur la page cuisine, espérant y dénicher de nouvelles astuces pour agrémenter les menus de son restaurant 3 étoiles, lorsque son regard tomba sur cet entrefilet : « La récolte de fleurs de crocus sativus vient de commencer… » Pas de doute, les ennuis allaient commencer…


Cela faisait maintenant cinq ans que Camille avait obtenu sa troisième étoile pour son restaurant Les Lys Blancs. Ces fleurs étaient, d’ailleurs, tout un symbole pour elle. Lorsqu’ils entamaient leur floraison dès le mois de juin, les lys majestueux ornaient les plates-bandes à l’entrée de son établissement, et ce, jusqu’à la fin d’octobre. Ils étaient si beaux ! En outre, l’enseigne en trouvait toute sa signification et le parfum enivrant ravissait chaque client à leur arrivée. Il paraît qu’ils n’étaient pas aussi somptueux du temps de monsieur Robert. Les gens se plaisaient à dire qu’elle avait la main verte et que sa gentillesse et son talent devaient aider. Quant aux crocus… Elle n’avait pas le choix, elle savait qu’elle allait devoir recommencer. Elle devrait passer par plusieurs étapes et la première était de changer sa carte pour se mettre au goût de la saison automnale. Le safran, ou crocus sativus, allait être un des ingrédients phares de ses plats. Il allait venir parfumer et colorer nombre de ses mets, sauces, riz et desserts. Cela ne serait pas aisé. Les trois stigmates rouges étaient extrêmement convoités par ses concurrents. Ils semblaient plus déterminés que jamais à lui faire tomber une de ses étoiles. Surtout l’un d’entre eux.

Il était déjà difficile pour une femme d’être Chef, et lorsqu’il s’agissait d’aller à la pêche aux épices rares, il fallait qu’elle regorge d’inventivité et de créativité, tout comme pour ses menus. Se renouveler au gré des mois, en utilisant les produits saisonniers, était devenu son fer de lance. La Bretagne n’était pas la région de prédilection pour la culture de l’or rouge qui nécessite une bonne dose d’ensoleillement régulier. Elle allait donc devoir attirer les vendeurs chez elle avant son plus redoutable rival, Florent Diguenat. Cet être abject lui sortait par tous les pores de la peau ! Elle suait littéralement du Diguenat, à grosses gouttes, à en attraper des crises d’urticaires virulentes dès qu’elle entendait son nom. Monsieur était Chef, depuis plus longtemps, et l’obtention de la troisième étoile de Camille lui était restée en travers de la gorge. S’il savait ce qu’elle avait envie d’y mettre à la place afin qu’il s’étouffe ! Un petit os de poulet ? Une arête de poisson ? En tout cas, quelque chose de bien méchant, pour qu’il lui fiche enfin la paix ! Elle avait espéré travailler en toute intelligence avec les autres restaurants du village, lorsqu’elle s’était installée et avait repris le commerce. C’était sans compter sur l’esprit rétrograde et machiste de cet homme malveillant. Elle avait beaucoup de mal à comprendre comment son établissement pouvait encore être ouvert avec de si mauvaises critiques, et, surtout, pourquoi les gens continuaient de s’y rendre. À croire qu’il mettait un soupçon de sorcellerie dans ses plats afin qu’ils soient tous sous son emprise ? Certains des amis de Camille, pour lui rendre service, avaient déjà déjeuné là-bas et avaient été unanimes : ils n’avaient pas apprécié. Et ce n’était pas dans le but de lui faire plaisir. Non, ils étaient sincères. Lorsqu’ils avaient testé celui de Paul Picard, un peu plus loin sur la route de la plage, ils n’avaient pas été déçus et pensaient même y retourner. Elle savait qu’ils ne lui mentaient pas sur la critique gustative qu’ils en avaient faite. Elle s’était fait rouler par cet escroc de Diguenat, l’année dernière, il était hors de question de se laisser avoir cette fois ! Elle contacta alors tous ses fournisseurs d’épices afin de passer ses commandes avant que les prix ne flambent et dut se rendre à l’évidence : il avait déjà sévi. Les tarifs étaient déjà plus haut que l’an passé.


— Monsieur Rossi, ce que vous m’annoncez n’est pas raisonnable.

— Té, mam’zelle Camille, ce sont les prix de cette année !

— Ben, voyons… Et vous allez me dire que Diguenat n’y est pour rien ? Il vous en a proposé combien pour que vous me donniez ces tarifs exorbitants ?

— Boudu, non ! Rien ! Rien de rien. Suis fidèle à mes clients, moi !

— Combien, monsieur Rossi ? Vous savez que vous n’êtes pas mon seul fournisseur, je sais que vous avez travaillé avec mon prédécesseur. J’aurais pu arrêter de me fournir chez vous ! Je vous suis restée fidèle parce que vos produits sont toujours de bonne qualité et que je vous pensais honnête ! Ne me mentez pas, je me suis déjà fait avoir la saison dernière, ne me la faites pas à l’envers !

— Peuchère, je vous aime bien, et je peux pas vous faire ça. M’sieur Robert, avant vous, il était gentil aussi. Ça m’a fait drôle qu’il disparaisse comme ça. Et Diguenat… Ça m’enfade ce genre de personnes, mais les affaires sont dures ici. C’est difficile de résister. Allez, pour vous, pitchoune, je le fais au même prix que l’autre fois.

— Je ne demande pas une faveur et je ne suis pas votre pitchoune, que ce soit clair ! Je vous demande d’être juste afin que ce monde ne tombe pas dans les mains d’abrutis comme Diguenat ! La restauration est un art, monsieur Rossi, laissez-lui ses lettres de noblesse !

— C’est d’accord, mam’zelle Camille, mais dites rien, il est redoutable. M’sieur Robert avant vous, pour sûr qu’il y a perdu sa santé. J’vois qu’ça.

— Je ne sais pas pour monsieur Robert ! Pour l’autre, là, je sais, et il va falloir que ça cesse.

Maintenant, j’attends ma commande, et rapidement ! Je paye !

— Té, z’êtes coriace en affaire, vous vous bonifiez avec l’âge !


Camille raccrocha, ivre de colère. Comment ce « chef » pouvait manquer de respect envers sa profession ? Et ses trois étoiles, d’où sortaient-elles ? Son sang ne faisait qu’un tour, parcourait toutes les veines de son corps à la vitesse de la lumière. Il fallait que cela s’arrête, et rapidement. Ce coup-ci, c’était le safran, un autre, c’était les arrivages de poissons et crustacés, de légumes, de fruits… Elle devait constamment se battre contre lui, il n’y avait vraiment que cet abruti qui lui mettait des bâtons dans les roues. Elle lui avait pourtant proposé, dès qu’elle avait repris l’activité, de se soutenir et de soumettre des choix différents, afin d’élargir la clientèle et de la partager. Le jour où elle servait des plats avec des produits de la mer, lui pouvait suggérer des produits du terroir et ils avaient, ainsi, la possibilité d’alterner pour s’entraider. Étrangement, il avait accepté rapidement jusqu’à ce qu’elle réalise qu’il présentait les deux menus sans tenir compte de leurs accords. Cela nuisait fortement à la fréquentation des Lys Blancs, puisque le restaurant de Diguenat, Aux Mille et Une Saveurs, était installé depuis bien plus longtemps. Elle ne vit pas tout de suite la supercherie. Lorsqu’un client vint lui dire que c’était « marrant » qu’elle propose les mêmes plats que l’autre resto, Camille ouvrit les yeux. Furieuse, elle se rendit chez son rival et attrapa un menu. C’en était fini de la bonne entente qui n’avait finalement jamais existé. Diguenat la regarda déchirer une de ses cartes, un sourire narquois traversait son visage rubicond. Il était, non seulement, une personne déplaisante en raison de son comportement, mais aussi physiquement. Cependant, elle voyait nombre de femmes se pavaner devant lui en expliquant à quel point elles le trouvaient beau. Comment était-ce possible ? Le pouvoir et l’argent rendaient-ils aveugle à ce point ? Ou Camille le percevait-elle tel qu’il était réellement, et une sorte de charme envoûtait les autres ? Non, c’était vraiment n’importe quoi, il fallait qu’elle arrête de penser qu’il y avait de la magie ou des sorts dans cette situation. Elle était ravie d’avoir mené à bien son achat, pourtant elle sentait l’angoisse monter à l’idée de la livraison. Son voisin allait forcément le remarquer. Il était même évident qu’il allait apprendre qu’elle avait réussi à payer son safran moins cher que lui. Monsieur Rossi risquait de perdre un client ou de passer un sale moment.


Oh tant pis, ils veulent jouer, ils perdent ! pensa-t-elle.


Il était temps de finaliser sa nouvelle carte. Elle s’installa tranquillement afin d’imaginer ce

qui serait susceptible de ravir les papilles de ses futurs clients. Une fois sa tâche achevée, elle partit se coucher, non sans ressentir une certaine crainte. Elle n’aimait pas travailler dans cette ambiance. Elle entretenait de bonnes relations avec les autres, pourquoi celui-ci n’arrivait pas à s’y faire ? Lorsqu’elle avait repris l’établissement, à la disparition de monsieur Robert, le personnel l’avait déjà prévenue. Même entre hommes, il n’y avait jamais vraiment eu d’entente. Elle chassa toutes ces mauvaises pensées de son esprit et tenta de trouver le sommeil. Il fut bercé de cauchemars, de visages maléfiques et de fleurs mauves aux stigmates en or.

Quelques jours passèrent avant qu’elle reçoive sa livraison. Elle était sur le pied de guerre, à guetter le camion pour que Diguenat ne détourne pas sa précieuse marchandise. Elle avait envoyé son commis chez son rival afin de le divertir, en proposant de nouveau une trêve et de l’entraide. Elle savait que le restaurateur ne serait pas dupe, mais le temps qu’il réalise, elle pourrait réceptionner sa commande. Elle s’en rendait malade de devoir user de stratagème pour réussir à exercer la profession qu’elle avait toujours voulu faire. Pourquoi en arriver là ? Ne devait-elle pas simplement passer outre les produits à la mode et trouver un autre moyen d’attirer les gens aux Lys Blancs ? Non. Elle avait gagné sa troisième étoile à force de dur labeur. Il était hors de question que quelqu’un l’empêche de faire ce qu’elle souhaitait. La cuisine, c’était toute sa vie ! Et les critiques étaient bonnes. Même les avis des clients, qui tenaient à la féliciter en fin de repas, lui donnaient du baume au coeur. Non. Si c’était lui qui avait un problème, c’était à lui de s’y faire ou de partir ! La tension nouait chaque muscle de son corps au fur et à mesure que l’attente se faisait longue. Pourtant, monsieur Rossi l’avait prévenue : la livraison devait avoir lieu aujourd’hui vers 9 h. Que faisait donc ce chauffeur ? Il était déjà plus de 10 h. Elle rappela Rossi qui lui confirma l’horaire.


— Il n’est toujours pas là, monsieur Rossi !

— Peuchère, je sais pas quoi vous répondre, mignonne ! Moi, les commandes, elles sont parties comme j’ai dit. Vous avez vu avec vot’méchant, là ?

— Je n’ai pas vu arriver le camion ! Comment il aurait pu intercepter ma livraison ? Ou alors, il aurait fallu qu’il sache quel transporteur et qu’il… Oh, non, c’est pas vrai ! Merde, merde, merde !


Camille raccrocha, furieuse. Elle était sûre qu’il l’avait fait, cela ne devait pas se passer de cette façon ! Elle sortit de son restaurant, remontée, les nerfs à vif, la colère coulant dans ses veines à la place du sang.


— Ah non, il ne va pas s’en tirer comme ça ! C’est hors de question ! Pour qui il se prend ?


Seulement, une fois arrivée devant la porte d’Aux Mille et Une Saveurs, elle se cogna le nez. C’était fermé. Était-ce possible qu’il n’y soit pour rien ? Non, il a toujours tout fait afin d’entraver la bonne marche de son entreprise, c’était forcément lui ! Elle repartit bredouille, et se jura de revenir plus tard. Il allait falloir qu’elle regorge d’inventivité dans le but de refaire ses menus, faute de safran. Ou bien trouver un autre fournisseur rapidement ? Pourquoi n’avait-elle pas commandé à plusieurs producteurs ? Quelle idiote elle avait pu être ! Elle sentait la rage monter en elle. Elle n’avait jamais rien ressenti de pareil. Les services du midi ne furent pas très prolifiques, elle n’avait pas la tête à ce qu’elle faisait. Les jolis petits filaments rouges dansaient devant ses yeux. Comment avait-elle pu être aussi naïve et penser s’en tirer avec sa si bonne négociation ? Foutaises ! Et où était passé Treveur, son commis ? Elle ne l’avait pas revu depuis ce matin. Plus rien ne tournait rond. Elle en fit brûler sa dorade, trop cuire son araignée, il fallait qu’elle arrête ! Elle allait régler tout ça ce soir !

Une fois le restaurant fermé et le personnel parti, elle prit son courage à deux mains. Elle tenta, dans un premier temps, de joindre Treveur, sans succès. Où avait pu disparaître ce jeune fou ? Elle tombait sans cesse sur son répondeur. Elle décida de lui laisser un message au bout du troisième coup de fil infructueux.


— Trev ? C’est Camille. S’il te plaît, rappelle-moi, je m’inquiète de ne pas t’avoir revu. Rassure-moi ! Bye.


Elle espérait que Diguenat ne lui avait pas fait de mal ! Il n’irait quand même pas jusqu’à faire un truc pareil ! Elle se mit en marche pour traverser la route qui la séparait de lui. Il était forcément là. Elle savait, par des ouï-dire, qu’il allait souvent, le soir, dans son arrière-cuisine avec sa conquête du jour. Il aimait « conter fleurette » à celles qui succombaient à ses avances. Elle ne parvenait toujours pas à comprendre comment ce genre d’individu, imbu de lui-même et détestable, parvenait à plaire. Depuis qu’elle avait repris Les Lys Blancs, après la disparition de monsieur Robert, elle n’avait jamais réussi à avoir la moindre relation sérieuse ou durable. Pas de coups d’un soir, elle n’y arrivait pas, n’avait pas le temps pour ça, le restaurant était devenu toute sa vie. De savoir que des femmes pouvaient, ne serait-ce qu’une seconde, être attirées par cet homme, Camille aurait pu vomir au beau milieu de la chaussée. Elle espérait le

trouver et ne souhaitait surtout pas interrompre une partie de jambes en l’air ! Plus elle se rapprochait d’Aux Mille et Une Saveurs, plus son estomac se serrait, à lui renvoyer de la bile dans l’oesophage. Elle avait une telle fureur qui montait. Son coeur battait irrégulièrement et si vite ! Il pourrait sortir de sa poitrine. Il fallait qu’elle se calme sinon elle n’aurait aucun poids face à ce gars. À quoi ressemblerait-elle, rouge de rage, la bave aux lèvres, les yeux exorbités ? C’est l’image qu’elle avait d’elle-même à l’instant, c’était ridicule.

Elle s’arrêta peu avant le trottoir d’en face pour reprendre son souffle. Que lui arrivait-il ? Elle n’avait jamais ressenti une telle hargne envers quelqu’un. En même temps, personne, avant lui, n’avait agi de la sorte avec elle. Elle repensait à son joli safran, qu’il lui avait très certainement volé. Elle en était persuadée ! Elle avait, malgré tout, confiance en Rossi. Il aimait et estimait beaucoup son prédécesseur, et, depuis qu’il avait disparu, il avait gardé cette confiance pour Camille. Jusqu’à ce qu’elle commence à avoir davantage de clientèle dans son établissement, en dépit des coups bas de son rival. Elle avait bien vu que les prix de Rossi augmentaient intensément, car la conjoncture n’aidait pas, Diguenat lui mettait la pression. Elle prit une énorme inspiration pour retrouver du courage afin d’avancer. Le restaurant était resté fermé toute la journée, c’était étrange, car elle voyait bien la lueur d’une lumière qui éclairait la petite cour derrière. Elle marchait d’un pas alerte, puis ses sens lui intimèrent de ralentir. Elle se dit qu’il fallait éventuellement le surprendre. Peut-être était-il en train de ranger son butin ? Il savait le nom du transporteur, il avait pu détourner la livraison en baratinant le chauffeur, il les connaissait tous. Plus elle se mettait cette idée en tête, plus la rage lui revenait au ventre. Il allait vraiment être compliqué de garder son calme devant lui ! Elle se redressa, sortit ses épaules, il fallait qu’elle se sente sûre d’elle ! Pourtant elle ne l’était pas, du tout. Elle avait peur, elle était ravagée par ce sentiment de colère qui l’envahissait au fur et à mesure qu’elle approchait. Puis elle s’arrêta. C’était quoi ? Des chuchotements ? Un feu dans le four extérieur ? Elle entendait bien des crépitements et des voix. Il était là ! Elle stoppa net sa marche et se plaqua au mur. Elle le suivit en se frottant à lui, comme une voleuse. Elle sentait ses forces l’abandonner. Ses jambes flageolaient, son coeur battait à tout rompre. Les bribes d’une conversation lui parvenaient de manière feutrée, mais certains mots se détachaient.

Merde, il n’est pas seul ? En même temps, c’est préférable pour moi ! Sauf si cette personne est aussi nocive que lui ! pensa-t-elle.

Elle continua d’approcher doucement, pour écouter.


— Ben oui que j’ai ! … faut pas… sache ! … encore fait… oublié !


Il fallait qu’elle arrive à hauteur pour mieux entendre. Une fenêtre était ouverte. C’était de là que sortaient ces mots. Elle put constater que le four extérieur était bien allumé. Que faisait-il cuire à cette heure-ci ? Cette odeur était alléchante, plutôt étrange, un drôle de mélange. Une fois devant, il lui sembla que Diguenat était en pleine conversation téléphonique. Il était donc seul ! Ses forces lui revenaient. Il fallait qu’elle retrouve de l’aplomb pour l’affronter et le faire avouer ! Elle répétait, en boucle dans sa tête, le discours qu’elle avait préparé. Chaque mot avait été choisi, il ne fallait pas qu’elle perde foi en elle ! Ces senteurs qui titillaient ses narines lui faisaient perdre son attention. Elle devenait de plus en plus obnubilée par ce qui pouvait cuire dans ce four, maintenant. Que faisait-il ? Un test d’une recette secrète ? Soudain, les effluves se transformèrent, devinrent plus désagréables. Soit il venait de faire cramer son nouveau plat, soit il brûlait autre chose que de la nourriture. Les flammes rougeoyantes qui sortaient de l’antre du foyer l’hypnotisaient. Elle s’approcha doucement et aperçut une masse noire à l’intérieur. Cela lui rappela quelque chose. Elle plissa les yeux pour faire la mise au point et tenta de comprendre ce qu’elle voyait. Une toque de chef ? Pourquoi faisait-il brûler sa toque ? Et à côté du four, par terre, elle distinguait une forme dissimulée sous une bâche, comme… un corps ? Mon Dieu, Treveur ! Ce cinglé avait fait du mal à Treveur ! Elle entendit un bruit de claquement venant de l’arrière-cuisine et sursauta. Elle retourna vite à son poste d’observation. L’attraction du spectacle avait failli la faire repérer. Pourquoi se cachait-elle ? Elle était là pour lui parler ! Mais si Treveur était bien sous cette bâche, il y avait de quoi avoir peur ! Elle était si proche maintenant qu’elle pouvait tout entendre distinctement.


— Non, j’ai tout mis dans le four, c’est bon. Aucune preuve, j’te dis ! Tu sais bien, pas de couilles, pas d’embrouilles ! Me suis débarrassé de tout. Si j’te l’dis ! Sa toque et le safran de la grognasse, partis en fumée ! Personne saura.


Elle le savait ! Le safran, c’était réellement lui ! Son sang ne fit qu’un tour, il bouillait dans chacune de ses veines et lui donna le courage qui n’arrêtait pas de la fuir ! Elle s’apprêtait à entrer dans la pièce, seulement deux mots lui revinrent à l’esprit : « Sa toque… » SA toque ? La sienne était rangée dans son vestiaire, il n’avait pas pu se la procurer en si peu de temps. C’était impossible !


— Tu te rends compte ? Cinq ans que je gardais ce trophée. Mais la p’tite, elle est redoutable. C’est sûr, c’est pas ce vieux con de Robert ! Il était dépassé, l’animal ! Dire qu’il a fallu un simple coup de pelle, et c’était fini en une fraction de seconde ! AHAHAH, je me souviens encore de sa face, à ce moment-là ! Et l’autre qui passe devant depuis tout ce temps et qui s’est rendu compte de rien ! Personne, j’te dis !


Monsieur Robert ? Sa toque ? Un coup de pelle ? Est-ce qu’il était en train d’avouer un meurtre ? Avec qui parlait-il ? Qui pouvait être son complice ? C’était horrible ! Pauvre monsieur Robert ! Et Treveur ! Était-ce ce qui l’attendait si elle n’était pas prudente ? Oh, mon Dieu, cet homme était vraiment le diable ! Qui pouvait être assez malsain pour être son comparse ? Camille se risqua à passer le haut de sa tête par la fenêtre afin d’avoir un meilleur angle de vue et se figea. Diguenat n’était pas en conversation téléphonique. Ses deux mains étaient totalement libres, en tout cas, de téléphone. Par contre, il tenait une bouteille de whisky, et devant lui, se trouvait un miroir. Il se parlait donc à lui-même ? Avait-il trop bu ? Le regard de Camille fut attiré de nouveau par le feu qui continuait de plus belle, et qui rendait maintenant une fumée noire et suffocante. Ses yeux commençaient à larmoyer. Étaient-ce des picotements dus aux substances nocives qui brûlaient ou la peur qui s’emparait d’elle à la faire chavirer ? Puis ils revinrent sur le spectacle de Diguenat en pleine conversation avec son reflet. Elle se rendit alors compte qu’il ne parlait plus et qu’il se mirait dans la glace. Un rictus diabolique s’affichait sur son visage. Elle paniqua et se baissa soudainement à en tomber assise, ses jambes l’ayant lâchée. Se pouvait-il qu’il l’ait aperçue ? Non, il n’avait pas d’yeux derrière la tête !


Réfléchis, Camille, réfléchis !


Elle sursauta lorsqu’elle entendit la grosse voix juste à côté d’elle.


— Comme c’est gentil de venir me rendre visite ! Manquait plus que toi à ma p’tite fête ! Tu sais que c’est pratique un miroir pour voir derrière soi ?


Camille s’en voulait d’avoir été si stupide mais elle n’eut pas le temps de réagir. Il l’attrapa par les cheveux et la traîna jusque devant le four. Elle tenta de se débattre, en jetant ses pieds et jambes dans tous les sens. Elle ne réussit, toutefois, qu’à se blesser sur le tisonnier qui était par terre. L’entaille qu’il lui fit dans le mollet lui arracha un cri de douleur.


— Tais-toi donc ! Tu vas attirer l’attention sur nous ! Toi, t’es trop maligne. Je savais que j’aurais que des emmerdes. T’as mis longtemps à capter, quand même. Moins que ce bon vieux Robert ! Oh, il a disparu, le pauvre môssieur, du jour au lendemain ! Le nombre de gens qu’il a été facile d’embobiner en leur faisant croire qu’il avait tout plaqué ou qu’il s’était peut-être suicidé ! AHAHAHA ! Et là, j’ai fait la connerie de garder ça… sa putain de toque, comme un trophée…J’espérais que le resto fermerait pour de bon et toi, tu débarques. Je pensais vraiment que ça serait plus facile, mais t’es coriace !


Son haleine empestait l’alcool. Il tenait un discours plutôt compréhensif pour quelqu’un de fin saoul ! Camille n’osait plus croiser son regard, elle n’y voyait que celui d’un fou. Il avait peut-être bu, cependant pas assez pour être ivre ! C’était ça ! Son esprit était totalement ravagé ! Elle observa rapidement autour d’elle : elle se trouvait juste à côté de la forme sous la bâche. Se pouvait-il qu’elle finisse là, elle aussi ? Prévoyait-il de se débarrasser des deux corps dans le four ?


Cet homme est complètement timbré ! pensa-t-elle, comme si cela allait la sauver.


Elle savait que les larmes qui coulaient, cette fois, étaient bien dues à la peur. Elle allait mourir, ici, sous les coups d’un fou. Tout ça pour du safran ! Pourquoi avait-elle insisté ? Pourquoi n’avait-elle pas décidé tout de suite d’abandonner et de faire autre chose ? Ce stupide caractère borné !


— Tu veux savoir où qu’il est, le Robert ? Bon sang, tu le vois tous les jours ! T’as jamais compris comment qu’elles sont si belles, tes fleurs ? Moi qui croyais qu’il serait trouvé vite, personne a jamais pensé à là ! Et puis, tout le monde s’est dit qu’il s’était barré, de toute façon. ET MOI J’ÉTAIS TRANQUILLE ! Et t’es arrivée. Pire que la peste !


Camille ne voyait plus rien. Ses yeux trempés n’en pouvaient plus de pleurer. Son coeur lui faisait défaut, son courage aussi. C’en était fini. Ou peut-être pas ? Elle crut apercevoir soudain une ombre qui passa derrière Diguenat, ombre qui se fit de plus en plus présente, fantomatique. Elle devait halluciner, si près de la mort. Diguenat ne cessait de raconter comment il s’était débarrassé du corps du vieux Robert. Chaque grand geste et moulinet qu’il faisait était accompagné d’une bonne rasade de whisky. Elle vit soudain le tisonnier se rapprocher d’elle. Elle ferma alors les yeux, pensant sa dernière heure arrivée, puis réalisa subitement qu’elle l’avait en main. Elle fut prise d’une force inouïe. Elle réussit à se lever, en tenant le bâton de métal, tandis que Diguenat lui tournait le dos et continuait de boire sans lui prêter attention, se sentant invincible. Elle lui asséna un coup sur l’arrière du crâne, si violent, qu’il en tomba sur le sol, le visage tourné vers la gauche, les yeux ouverts marquant l’effet de surprise et les bras en croix. Il ne bougeait ni ne parlait plus. Un mince filet de sang s’échappa de sa bouche et le trou béant dans sa nuque ne laissa aucun doute. Il était mort.

Camille paniqua. Elle venait de tuer un homme ! Mais c’était de la légitime défense ! Pourtant, avec l’enquête, le procès, elle allait perdre son restaurant et il allait gagner, même raide mort ! Il en était hors de question. Soudain, un courant d’air lui souffla sur le visage et lui fit tourner la tête vers son établissement. Un rayon de lune éclairait le parterre de lys. Elle savait ce qu’elle avait à faire. Elle nettoya toute trace de son passage. Elle avait bien fait attention de ne rien toucher, à part le tisonnier. Elle l’essuya précautionneusement et le jeta dans le foyer, toujours en action. Même s’il ne fondait pas, cela suffirait à tout effacer. S’approchant de la bâche, elle la souleva, pensant y découvrir le corps de Trev, et fut soulagée de n’y trouver que des bûches. Où était son cadavre ? Elle y penserait plus tard, les choses pressaient. Elle redoubla d’effort pour trainer le corps jusqu’à l’arrière de son restaurant, malgré sa blessure. La nuit fut longue et laborieuse. Lorsqu’elle eut fini, il lui sembla voir l’ombre s’approcher et pénétrer la terre fraîchement retournée. Si c’était bien ce qu’elle pensait, elle en connaissait un qui allait passer un sale quart d’heure. L’endroit était idéal, personne ne venait jamais à l’arrière, elle était tranquille. Son téléphone se mit à vibrer, lui indiquant l’arrivée d’un message. Elle se hasarda à regarder puisque que tout était pratiquement en ordre.


*T’as oublié que tu m’avais finalement donné ma journée pour t’avoir aidée ce matin ? En plus, l’autre naze était même pas là, alors je suis rentré chez moi direc’ et j’ai un peu fait la fête ! Tout va bien ? On se voit au prochain service !


Elle sourit.

Oui, tout allait bien. Et les prochains lys blancs allaient être très beaux.


©Barbara LAURAME 2020



 

Et ci-dessous, je vous mets un petit montage. On nous avait demandé de montrer l'endroit où nous habitions, à l'aide de photos ou vidéos. Toutes les photos utilisées sont les miennes. Je vous mets le lien où vous auriez pu la trouver mais quand on clique dessus, ça met error... Vous la verrez ici au moins !



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