— Je vais le rater, c’est sûr.
— Arrête, je l’ai eu, je ne vois pas pourquoi tu ne l’aurais pas !
— Parce que c’est dur ! Parce que je suis une fille ! Je sais pas !
— Tout le monde l’a, ces derniers temps, y’a pas de raison. C’est plus une formalité, tu sais !
— Ouais, ben pas tout le monde ! Regarde Sarah, elle avait eu son code du premier coup, mais la pratique, c’est dur ! Elle l’a raté !
— Je te dis que toi, tu vas l’avoir. Déjà, passe ton code et tu verras après. Puis, si y’en a une qui doit avoir son permis, c’est bien toi.
— C’est surtout que ça t’arrangerait bien. Comme ça en cas de besoin, je pourrais prendre le relais.
— Oh mais arrête, non, pas du tout.
Allanis et Sacha étaient dans la salle d’attente depuis presque 30 minutes. Passer le permis était devenu obligatoire dès 16 ans et avant d’avoir atteint l’âge maximum de 25 ans. Il était hors de question, pour le gouvernement, de laisser de jeunes apprentis sans expérience dans la rue. Ils devenaient dangereux pour eux-mêmes et pour les autres, il avait fallu frapper du poing et fort.
Ces dernières années, combien pensaient s’en sortir et finalement se plantaient en toute beauté ? Lâchés dans la vie sans expérience ou à peine, devenir responsable n’était pas donné à tout le monde. On avait parfois l’impression que bon nombre de parents, issus de la génération 2.0, ne savaient rien si ce n’était pas écrit sur leur smartphone. Quelque part, c’était vrai. Tout arrivait vite, trop vite, dans leur tête et ils perdaient le réflexe de réfléchir, de chercher et de se fier à leur intuition.
Le gouvernement avait raison, la situation était plus que critique et il était temps d’instaurer des lois importantes. La limite d’âge fut extrêmement controversée mais le chef de l’état s’empressa de rappeler que beaucoup trop de jeunes apprentis étaient lancés sur les chemins de la vie trop rapidement et qu’il devenait plus que nécessaire de limiter les problèmes.
Des associations se sont créées pour accompagner ces jeunes tandis que des mouvements de protestation s’élevaient. Pourtant, la loi fut votée et assez largement acceptée par tous les partis. Parmi ces ministres, il y avait des personnes qui avaient perdu des enfants assez jeunes et de telles choses ne devaient plus se reproduire. Tout devait être sous contrôle afin d’éviter le nombre de décès qui grandissait d’années en années.
Les chiffres de ces derniers mois étaient alarmants. 38% arrêtés pour conduite irresponsable pour des jeunes entre 16 et 25 ans. Mais qu’avaient-ils tous en tête ? Pourquoi ne prenaient-ils pas au sérieux les campagnes de protection, les avertissements de leurs parents, les cours dans les écoles ?
Non, ils fonçaient tête baissée, savaient mieux que tout le monde ce qu’il fallait faire pour éviter les accidents puis finalement, se retrouvaient dans la situation qu’ils voulaient éviter. Combien de vies perdues inutilement suite à des imprudences, à des maladresses, à des certitudes que ça n’arrivera qu’aux autres ?
Arriva enfin l’heure pour Allanis. Elle entra dans la salle et se trouva mélangée à beaucoup d’autres jeunes comme elle, qui avaient dépassé la vingtaine. Cela la rassura quelque peu. Elle se détendit et essaya de se remémorer ses cours du mieux qu’elle le pouvait. On leur expliqua, après quelques minutes d’attente, que l’examen théorique ne durait que 20 minutes, qu’il se présentait sous forme de QCM et qu’il leur suffisait de cliquer sur l’écran devant eux sur la réponse qui leur semblait être la bonne.
Resté dans la salle d’attente, Sacha s’inquiétait pour elle et devenait de plus en plus nerveux. Il ne quittait pas l’horloge des yeux. Dix minutes s’étaient écoulées lorsqu’il se leva et commença à faire les cent pas sur le seuil de l’entrée. Son passage n’arrêtait pas de déclencher la sonnette qui indiquait que quelqu’un entrait, mais il ne s’en rendait pas compte, absorbé par son angoisse. Il fallut que l’hôtesse d’accueil vienne lui demander de retourner dans la salle pour qu’il comprenne. Il se confondit en excuses et retourna s’asseoir.
Vingt minutes de passées et elle ne sortait toujours pas. Il se rappelait le stress que son propre examen lui avait causé et des sueurs froides commençaient à couler le long de sa colonne.
Que se passera-t-il si elle le rate ? Il faudra qu’ils attendent les 2 mois obligatoires de suspension afin qu’elle puisse se présenter à nouveau mais cela repoussait d’autant plus tous leurs projets ! Ils avaient assez attendu ! Allanis allait avoir 24 ans et Sacha, du haut de ses 30 ans, avait passé le code et son permis avant tout ça. Depuis que cette loi avait été instaurée, les listes d’attente étaient extrêmement longues pour se représenter si on ratait l’examen. C’est pour cela qu’ils avaient établi un délai de suspension, afin de réguler les nombreuses demandes. Depuis 2 ans que cette loi était passée, Allanis n’avait pu obtenir une place pour l’examen que cette année alors que la demande datait de l’année de l’application de la loi. Elle avait 22 ans à l’époque.
La porte de la salle s’ouvrit et Sacha cherchait Allanis du regard, angoissé.
— Faites qu’elle l’ait, faites qu’elle l’ait ! murmurait-il en serrant ses mains l’une contre l’autre très fort.
Allanis vint le rejoindre, tête baissée.
— Tu ne l’as pas ? Mais non, pas toi, c’est impossible !
Elle releva les yeux et lui adressa le plus grand des sourires.
— Je l’ai ! hurla-t-elle en se jetant dans les bras de son ami.
Ils échangèrent un long baiser réconfortant et la jeune femme se reprit.
— J’ai tout déchiré ! Le meilleur score depuis longtemps ! Un sans-faute ! J’ai le droit d’aller passer la pratique tout de suite, tu te rends compte ? Depuis le temps que j’attends ça !
— Mais tu penses que tu es prête ? Tu ne veux pas attendre de reprendre quelques leçons ?
— Ça fait des mois qu’on révise et qu’on attend, des années que tu me prépares à ça, j’y vais ! Si je rate cette occas’, je devrais attendre encore 6 mois avant de passer la pratique et j’en ai ma claque d’attendre mon tour !
Elle l’embrassa furtivement et se dépêcha de rejoindre l’endroit indiqué par l’examinateur.
C’était reparti pour 20 interminables minutes d’attente pour Sacha. Lorsqu’il la vit revenir avec son petit papier rose en main, qui signifiait qu’elle avait réussi l’examen pratique, des larmes se mirent à couler sur ses joues. Allanis vint se blottir tout contre lui et ils restèrent quelques instants, l’un contre l’autre, réalisant ce qui leur arrivait.
Ils sortirent du centre d’examen, main dans la main, heureux.
Avec ce permis en poche, ils obtenaient le droit légal et contrôlé de devenir parents.
Avec ce permis en poche, ils obtenaient le droit de faire un enfant.
En cette année 3019, la surpopulation est contrôlée par la loi ANNC - Anti-Naissance Non Contrôlée – votée et mise en place deux ans auparavant.
Le gouvernement n’a plus eu le choix devant la croissance du nombre des naissances, désirées ou non. L’écologie est devenue un problème de grave urgence sanitaire dès la fin du 21ème siècle et des mesures draconiennes ont dû être mises en place, comme la suppression de toutes les matières plastiques et leurs dérivés.
Autant cela a été bénéfique pour les emballages « classiques » qui ont trouvé leur remplaçant écologique sans souci, autant cela a amené un problème important pour la contraception.
Plus de possibilités de fabriquer de préservatifs depuis le début des années 3000. Ce fait a considérablement fait augmenter la population en l’espace de 10 ans. Le substitut de préservatif en matière écologique et bio dégradable n’a pas satisfait car ils n’étaient fiables qu’à 48%.
L’industrie pharmaceutique a mis au point une pilule contraceptive, une seule et unique afin de supprimer les emballages. C’en est fini de tous les médicaments en plusieurs exemplaires et déjà emballés. Ils sont fabriqués à la demande, sur ordonnance. Mais après le crash de 2098, la sécurité sociale n’existe plus. Il n’y a plus aucune possibilité d’auto médication, plus aucun remboursement de soins. Se procurer n’importe quel médicament, ou se soigner, est devenu un luxe.
Devant la recrudescence des maladies, des avortements sauvages, des abandons de nourrissons dès la naissance, il a fallu prendre des mesures drastiques.
Le Nouveau Gouvernement de la VIème république contrôle les naissances afin de réduire la surpopulation. L’aide médicale pour le maintien de la vie a été supprimée.
Tout manquement à la loi peut entraîner une condamnation à une amende d’un montant équivalent à 4 fois le montant total des revenus d’un couple.
Allanis et Sacha vont pouvoir arborer fièrement leur badge « A » dès qu’elle sera enceinte. « A » pour Autorisé. En cas de contrôle, il suffit aux brigades de scanner le badge afin de savoir si ce n’est pas un faux et si elle a bien le permis d’être enceinte et de devenir maman.
En 3019, pour sauver le monde, tout n’est pas permis.
©Barbara Laurame 2019
Et très bien écrit et bien amené !
Plutôt anxiogène mais très original le thème !
👏👏👏
Quelle imagination ! Bravo !